12 févr. 2025
As-tu vu l'Atlantique
au milieu des palmiers
se régaler du jour
à bouchées trépidantes ?
As-tu vu sous le poids
des montagnes en fête
les vagues et la plaine
dans la transe éternelle
se remuer dans le lit
des astres vagabonds
pour l'accouplement
à l'orgasme lascif
des beautés en rut ?
As-tu compris du vide
le code épouvantable
qui s'écrit dans le sable
et ne s'efface pas ?
As-tu bu de l'harmonie des choses
ce cocktail d'innocence
dans le rustre des arbres
et dans l'air rutilant ?
Le marché est fermé
et l'aurore qui descend
sur nos plages en péril
est fille des jours sacrés
et règle enfin leur compte
aux vendeurs de misère
forgeurs de peuplement
par le béton de nos forces
ciselant contre l'automne
le fer de nos joies
ils bâtissent des forteresses
à l'eau de nos pleurs
le sable de nos cris
le rythme effréné de nos chants
Finie la surenchère du matraque et du sang
fermé le cimetière où l'on voit
deux siècles de dignité humaine
piétinés sous les bottes
des pouacres assassins
où l'on incinérait des peuples noirs
le nom et la mémoire
coupées ces routes en mal de haine
ces cieux aux cils de paille
les rivières ne couleront plus
que des cristaux de rires
glissant des montagnes
Fermées les baies qui bâillent
et les ports cachant la mort
fermée la porte vers l'océan
où tanguent sans fin des cuves de sang
Il est dix-huit heures quatre*
à l'horloge du nouveau monde
brûlez sur le bûcher
les négriers de naguère
coupez la tête aux voiles
sur l'échafaud du vent
buvez le résidu des prouesses d'antan
Désormais le marché est fermé
la nuit ne se vend plus
dans ce coin des Antilles
Le charbon d'un revers magistral
renverse la donne du péril
reprend son droit de vivre
et de piaffer au temps
comme les cèdres du Liban
Allez vers l'Amérique
aux étoiles qui luisaient du sang de nos entrailles
allez vider là-bas le tremplin de vos guerres
Ici, le dernier qui fut vendu
est maître de la terre
et ses bourreaux sont brûlés
du feu de sa colère
Ils se sont heurtés à la tyrannie du fer
Depuis l'heure quinze de l'ère**
les troupes délabrées de l'Europe inassouvie
longent le Niger
tapotant les seins nus de l'Afrique endormie
sur la paillasse des ombres
Allez chercher ailleurs ce métal d’enfer
pour lequel nos femmes et nos enfants
n’ont connu que les tranchées de guerres
Leurs rires furent dévorés
par l'anathème
l’abject
le vil et le méchant
Le sabot honni du blanc
et la course cruelle du temps
S’en est fait, plus jamais nos gosiers
ne seront examinés
des mains sales de vos nécessités
aux squares de la honte
Le marché est "foutrement" fermé
Dans le Nil de nos joies
les clés ont été toutes jetées
Robers Dolciné
Canada, 2007
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